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SCENE V.

CLERDON, TRUWORTH.

Clerdon. Tes efforts sont superflus, Truworth, rien ne peut calmer mon inquiétude.... (en voyant Widston qui s'éloigne) n'est-ce pas Widston qui s'enfuit? Où son maître peut-il être à présent? Je comptois le trouver le trouver ici. Sa présence est peut-être le seul remede qui puisse dissiper le trouble de mon esprit. Tout ce que je <page 27:> fais pour me distraire ne fait qu'augmenter ma tristesse & l'agitation où je suis.

Truworth. Et vous m'avez caché jusqu'ici la cause de vos chagrins?

Clerdon. Tu sais que j'avois un pere, une amante, un ami; que je les ai offensés de la maniere la plus inouie : & tu ignores, dis-tu, la source de mes chagrins?.... Ah, mon pere, mon pere, que tu es cruellement vengé du monstre qui t'a offensé! Oui, Truworth, ce respectable vieillard, pour mon désespoir, est continuellement présent à mes yeux. Que mon cœur se brise au souvenir des outrages que je lui fis essuyer avant mon départ de Londres! Mes folles dépenses m'avoient précipité de nouveau dans toutes les horreurs de l'indigence. J'eus l'audace de recourir encore à ce bon pere, qui m'avoit déjà tant de fois sauvé de la misere. Avec quelle insolence j'osai lui demander de nouveaux secours! <page 28:> Que son cœur dut souffrir au ton dur & menaçant de son indigne fils! Il ne me répondit rien, mais fixant sur moi des regards plein de bonté, ses yeux se mouillerent de larmes. Il ne me fit aucun reproche; il me remit les restes de son bien, m'embrassa, m'arrosa de ses pleurs & me tint ce discours dont chaque mot enfonce un poignard dans mon cœur. Grâces soient rendues à la Providence, ô mon fils, qui a bien voulu me laisser encore de quoi te secourir dans tes besoins. Qu'importe qu'il ne me reste plus rien? Je consens, ô mon Dieu, de vivre malheureux, pourvu que tu répandes tes bénédictions sur mon fils, & qu'il soit vertueux!... Et je fus insensible! & j'ai pu l'abandonner, ce pere si chéri, ce pere dont je déchirois le sein!... Je me fais horreur à moi-même!

Truworth. Qu'il m'est doux, mon cher maître, d'entendre de pareils regrets! Pardonnez à un ancien serviteur, qui depuis long- <page 29:> temps a pris l'habitude de vous aimer... oui, j'ose le dire, de vous aimer en pere..... Je vois revivre en vous la vertu, & je vous en félicite.... Que j'ai pleuré long-temps sur le funeste aveuglement qui vous égaroit! le voilà dissipé; ne perdons pas un moment, retournons à Londres, la vertu & la religion....

Clerdon. La religion? Vain fantôme, qui depuis long-temps ne me fait plus trembler.

Truworth. Quoi, Monsieur, vous méprisez une chose qui autrefois vous rendoit si cher, si estimable aux yeux de tout le monde, & s'il m'est permis de le dire, plus heureux, plus tranquille que vous n'êtes à présent? Mon esprit est, j'en conviens, trop borné pour disputer avec vous sur des objets si importans; mais souffrez que je vous représente que ce n'est que depuis peu que vous traitez avec dérision des choses que vous respectiez autrefois. Quelles lumieres surnaturelles avez vous <page 30:> donc acquises dans un si court espace de temps?

Clerdon. La religion est bonne pour les enfans, pour le peuple. Brisons là.

Truworth. Permettez-moi de vous faire encore une question. Pourquoi, depuis votre changement, vous est-il arrivé tant de disgrace? Votre bonheur, autrefois si constant, s'est évanoui. La honte & la misere vous assiégent de toutes parts. Vous voilà plongé dans la douleur, & tout près du désespoir. Le Ciel, je frémis de le dire, le Ciel commenceroit-il à se venger? (Il se jette à ses genoux) Ah, Monsieur, mon chere maître! j'embrasse vos genoux en pleurant.... Excusez mon zele.... n'empoisonnez pas les derniers jours de votre digne pere, faites qu'ils soient des jours sereins. Ne lui laissez pas emporter dans le tombeau des inquiétudes sur votre sort à venir. Ne provoquez pas le courroux du Ciel, <page 31:> qui semble encore suspendu... Si ce que je crains arrivoit.... votre malheur seroit l'arrêt de ma mort.

Clerdon. Leve-toi. Je fais grâce à ton indiscrétion en faveur de ton zele. Mais ne te hasarde pas, je t'en avertis, à m'en donner de nouvelles preuves... Quant à mon pere, j'ai balancé plusieurs fois si je ne retournerois pas chez lui. L'idée de le sentir dans une situation cruelle, m'est insupportable. Je vais prendre là-dessus le conseil de mon ami Henley.

Truworth. Lui votre ami! Ah, Monsieur, ne le croyez pas...... Oui, il faut que je parle, il faut que je soulage mon cœur; me taire plus long-temps seroit un crime... Il est votre séducteur, votre ennemi, la cause de votre ruine....

Clerdon. Insolent! Tais toi... quoi, tu oses prononcer avec cette indignité le nom de mon <page 32:> ami, un nom qui m'est sacré! Tu oses... fuis ma colere, misérable; crains que je n'oublie que tu n'es pas digne de ma vengeance.

(Ils sortent de différens côtés)

Fin du premier Acte.


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