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ACTE IV.
SCENE PREMIERE.
CLERDON seul.
Peu s'en est fallu que je ne succombasse... Cette voix si touchante, cette
voix qui sait si bien trouver le chemin de mon cœur, alloit anéantir toutes
mes résolutions... J'étois vaincu sans la présence de Grandville... Je rends
grâces à l'aspect odieux de ce perfide, qui m'a inspiré assez de fureur pour
résister au pouvoir de tant de charmes... Cependant, pourquoi l'avoit-il
amenée avec lui?.. Seroit-il... Non, il ne peut être innocent... La lettre
de l'inconnu... la sienne.... le secret qu'il m'a fait de l'arrivée de sa
sœur... Henley, que je
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ne peux soupçonner sans crime, tout dépose contre lui... Il faut donc que je
me venge... que son sang... le sang de mon ami... c'est le sang de Grandville
que je veux verser?.. Lui pour qui je me serois trouvé heureux de répandre le
mien?.. Le frere de celle que j'adore?.. Ne seroit-ce pas enfoncer en même
temps le poignard dans le sein d'Amélie? Serai-je assez féroce, assez inhumain
pour soutenir sa vue? Pour l'entendre demander à grands cris compte du sang de
son frere à son indigne amant?.. Son amant... Mais elle ne m'aime plus... Mais
elle est destinée pour un autre... Un autre va bientôt... Et moi, condamné à être
rejetté, méprisé, comblé de honte & d'infamie, je vais devenir le jouet & la
victime d'un perfide?.. Et je balance encore?.. Non, mon parti est pris...
Je me livre aveuglément aux sentimens de haine & de rage qui s'élevent dans mon
cœur... O vengeance, je cede à ta voix puissante; tu demandes du sang...
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tu vas être obéie... Je vais porter le coup fatal.... je vais oser.... Hélas,
peut-être me repentirai-je un jour..... Qu'importe... allons...
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