<page 155:>
SCENE III.
Clerdon seul.
Moi, me reconcilier avec l'Etre suprême? Ah, puis-je
l'espérer!.. Non, le désespoir est la ressource qui m'attend... Je sens déjà le bras
vengeur qui s'appesantit sur moi... Ses jugemens redoutables tonnent sur ma tête criminelle...
Je ne les ai que trop mérités! Ton culte profané t'appelle à la vengeance... O religion
redoutable & sacrée, en vain dans mon aveuglement j'ai voulu tu méconnoître; ta vérité
impérieuse se fait sentir malgré moi par les remords brû-
<page 156:>
lans dont elle déchire mon sein... Elles disparoissent, ces malheureuses illusions qui
m'égaroient dans les ténebres..... Quelle lumiere auguste & terrible me découvre en ce moment
l'abîme des forfaits où je me suis précipité!.. J'ai osé blasphêmer une religion dans laquelle
je n'avois puisé que de la joie & du contentement... Comblé de ses bienfaits, je me suis
audacieusement soulevé contre mon Créateur.... Mes levres ne s'ouvroient que pour répandre le
ridicule & le mépris sur les objets les plus sacrés... Je distillois mon venin jusques sur la
vertu... J'ai porté la fureur & la démence jusqu'à oser me déclarer publiquement l'ennemi de
Dieu & de la religion... Et combien d'infortunés, peut-être, mes propos insensés n'ont-ils
pas entraînés avec moi!.. Quelles malédictions les cris de l'innocence séduite n'assembleront-ils
pas sur ma tête? Tu es vengé, religion! Conductrice divine, dès que te cessas de me guider,
toutes mes dé-
<page 157:>
marches devinrent des crimes, toutes mes actions sont autant d'arrêts de mort, chacune m'ouvre
l'enfer... Je le vois entr'ouvert sous mes pieds, les tourmens que l'avenir nous prépare se
découvrent à mes yeux... La nuit éternelle m'enveloppe déjà de ses voiles funebres... Je vais
tomber dans le séjour de la calamité... Le désespoir sera mon aliment, tout ce que je sentirai
sera douleur... je cours au devant de toi; jours du jugement, jours de vengeance & de
lamentation! vous justifiez le Ciel en punissant un scélérat que la nature ne voit plus qu'avec
horreur; vous accumulerez sur moi des tourmens éternels, sans cependant combler la mesure de
la justice éternelle... J'entends ta voix, redoutable éternité... tu m'appelles... tiens...
reçois ta victime.
(Il tire un poignard, dont il est prêt à se percer)
Mais, que fais-je? O mort, j'ose te choisir... Abîme qu'on ne peut envisager sans
frémir, abîme où reposent les plus redoutables mysteres,
<page 158:>
toi dont les portes ne s'ouvrent que pour conduire les humains vers une félicité ou des
tourmens dont l'infini est la mesure... j'ose te choisir... j'ose me précipiter volontairement
dans les bras du Juge qui m'attend? Quelle pensée accablante! Je vais donc à jamais être haï
de lui? je vais donc être à jamais en proie à son courroux insupportable!..... Vivons encore...
Je ne le puis... je ne puis supporter le remords qui me ronge les entrailles, ce supplice
intérieur que je ne saurois nommer... Mais la mort le finira-t-elle? N'y mettra-t-elle pas
le comble? Ah, malheureux, où chercher un asyle! Je ne vois que des précipices autour de moi.
Ma vie est un enfer, la mort m'en prépare un autre... Mais peut-être la mort est-elle
l'anéantissement..... Vaine espérance; mon cœur, l'effroi que j'éprouve me disent le
contraire... Je sens que je suis destiné à des tourmens éternels, qu'un juge éternel...
Il vient à moi! Oui, je le
<page 159:>
vois, je ne me trompe pas, cette lumiere redoutable, ce feu dévorant, le frémissement de
toute la nature annoncent sa présence. La terreur marche devant ses pas, ses regards
portent la mort; la foudre consume tout autour de moi... il ordonne à la perdition de me
frapper... Déjà son tonnerre... O terre, couvre-moi, mets-moi à l'abri de ses coups...
ô néant, détruis-moi....
|